De retour d'Ukraine, Quentin, interne en médecine de la faculté de santé témoigne
Publié le 6 février 2023–Mis à jour le 6 février 2023
Quentin Estrade a 26 ans. Étudiant à la Faculté de santé de l’université Toulouse III – Paul Sabatier, il est actuellement interne en cardiologie au CHU de Toulouse (9e année de médecine). Il vient de rentrer d’Ukraine où il a passé quelques semaines. Interview avec un jeune homme engagé.
Dans quel cadre êtes-vous parti en Ukraine ?
J’ai découvert l'association Narbonne – Ukraine créée afin de venir en aide aux Ukrainiens. Elle organisait, en novembre dernier, un grand convoi humanitaire. J’étais alors en contact avec le vice-président de cette association qui m’a demandé si je pouvais récupérer du matériel médical à l'hôpital. En tant qu’interne, je n’ai malheureusement pas de pouvoir décisionnel à ce sujet. Néanmoins, j’ai décidé de prendre quinze jours de congés afin d’aller aider directement sur place. En tant que médecin je voulais, dans la mesure du possible, atténuer la souffrance des gens et leur apporter du réconfort.
J’ai rapidement été contacté par le Dr Alexandre, chef du service d'Anesthésie Réanimation de l'hôpital de Mykolaiv. Il m’a mis en garde sur la réalité de la situation : la ligne de front n’étant qu’à 2 kilomètres, la ville était bombardée quotidiennement. C’était une information essentielle car lorsque vous êtes médecin, une fois votre intervention médicale entamée, vous ne pouvez pas abandonner vos patients pour vous mettre à l’abri lorsque les sirènes d’alerte retentissent. Quoi qu’il advienne, vous devez faire votre devoir, y compris sous les bombes. J’ai pris en compte ces éléments et ai maintenu mon souhait de me rendre sur place. Fin novembre, je décollais pour Chisinau, capitale moldave, avant de prendre un bus de nuit jusqu'à Odessa et de rejoindre Mykolaiv en voiture.
Comment s'est traduit votre engagement sur place ? À quoi ressemblait votre quotidien ?
Dans l'hôpital où j’intervenais, il n'y avait pas de cardiologue. Je réalisais donc des échographies cardiaques pour aider au diagnostic sur la population. Ces examens permettaient également d’apporter les soins nécessaires aux soldats ou civils blessés. J'ai également mis des cathéters artériels ou des voies centrales en réanimation afin de permettre une prise en charge des patients touchés gravement. J’ai aussi pu aider au bloc opératoire ou à décharger les convois d'aide humanitaire.
Toutefois, je pense surtout avoir apporté une aide psychologique plutôt que médicale. En étant auprès d’eux, j’ai pu leur montrer que neuf mois après le début du conflit, malgré la coupe du monde de football, ils ne sont pas oubliés. J’ai pu être leur confident.
De nombreux médecins se sont livrés à moi sur leurs conditions de vie très dures : le froid, la nuit qui tombe à 16 heures, les coupures de courant et d'eau, leurs amis tués ou blessés et l'éloignement de leur famille. Mon chef m’a notamment raconté que depuis neuf mois sa femme et sa fille de six ans vivent au Canada. Certains soirs, il dort dans le lit de sa fille pour se sentir plus proche d’elle. Yuri, jeune chirurgien, m’a confié que son père est professeur de peinture à l'université de Moscou. Il n’a plus de contact avec lui depuis le début du conflit.
Qu'est-ce qui vous a le plus marqué lors de cette mission ?
Ce qui m’a particulièrement marqué dans cette guerre c'est la proximité et l'interconnexion entre ces deux peuples. Sur place 50% de la population parle ukrainien et 50% parle russe. Nombreux sont celles et ceux à avoir de la famille et des amis des deux côtés de la frontière. Ce conflit ressemble à une guerre civile.
J’ai été également saisi par les différences qu’il existe par rapport au milieu médical français. Dans cet hôpital avec très peu de moyens, il n'y a qu'un seul scanner, pas d'IRM. Des médicaments que l’on trouve facilement en France ne sont pas administrés car ils sont trop chers. Les aiguilles ne peuvent être à usage unique et sont réutilisées sur un même patient. Les champs stériles sont souvent de grands draps blancs lavés et réutilisés. Malgré ces conditions, les médecins sont dévoués et accomplissent des miracles.
Par ailleurs, les Ukrainiens tentent de maintenir une vie normale dans un pays en guerre, où check points, blockhaus, tranchées, soldats armés et immeubles éventrés sont devenus le quotidien. On s’évade des horreurs en regardant un match de foot, par exemple.
Comment s'est passé votre retour et comment envisagez-vous la suite ?
Le retour à la vie normale a été difficile. Une fois en sécurité à l'aéroport de Chisinau, alors que j’attendais mon vol, j’ai ressenti la retombée de l'adrénaline, le manque de sommeil. J’ai pris conscience des horreurs vécues et ai pleuré pendant 5 heures.
Mes confrères ukrainiens m’ont demandé de témoigner, d'essayer de lever des fonds pour leur envoyer du matériel. Je vais dorénavant m'y atteler. J’aimerais pouvoir repartir là-bas cet été, pour faire mon stage de réanimation.
Enfin, lorsque l'Ukraine aura obtenu la paix, si je dois retourner soigner à Mykolaiv ou à St Pétersbourg, je le ferai.